3 oct. 2011

Lettre sur une nuit infernale

Cette nuit, l’Enfer m’a rendu visite. Je ne m’y attendais pas. Ensommeillé, je me tournais et me retournais dans mon lit, l’œil mi-clos, quêtant à Morphée le repos. Il me semblait que mon matelas était encore plus dur et inconfortable qu’à l’accoutumée. On eut dit qu’il avait été rembourré d’une infinité de petits cailloux. Une sueur chaude et épaisse ruisselait sur ma peau, insidieuse, voulant accentuer ma Déraison. Peu à peu, la Sensation se troubla, puis devint celle de milliers de Serpents grouillant dans mon corps. J’en devins maniaque, me grattant avec les ongles pour les chasser. Je me frappais, les frappais, sans que cela ne changeât quoi que ce soit. Je tentais de les étouffer en m’enroulant dans mes draps, puis je ne fis plus un geste. Peu à peu, la Sensation me quitta. Mais un autre Mal entreprit de me torturer. D’abord une Pensée floue, puis ensuite une Pensée atroce, sinueuse, vile et envahissante. Elle ne cessait de me marteler le crâne. Elle chassait les dernières gouttes d’entendement de mon Âme, pour les remplacer par la vision de l’enfer. Non, pas l’enfer. L’Enfer. Le vrai. Le cruel. Celui qui suinte de Sang corrompu et qui est bruyant de hurlements à vous fendre l’Âme, celui-là même qui projette sempiternellement ses flammes de lave. Elles me brûlaient. J’avais l’impression que l’on me transperçait d’une lame ardente et que mon Sang se répandait sur la planète entière. Il inondait des maisons, noyait des Innocents, engloutissait des îles entières, pour ne former qu’une mer d’une immensité écarlate. C’était affreux. Dieu, perché sur un nuage qui lui aussi serait bientôt immergé, m’admonestait et me répétait sans cesse mes Erreurs, toutes ces choses horribles qui auraient dû m’arriver plutôt qu’aux autres. Cet impitoyable mais bon Dieu, ce Dieu miséricordieux, qui refusait de pardonner mes Actes immondes. Ce Dieu qui avait pardonné tant de Monstres et tant d’Horreurs m’évinçait de ce cercle privilégié. Je le détestais. Lucifer, nu, caressé et léché par tant de Femmes sales et affreuses, m’appelait. Sa voix résonnait, comme dans un tunnel infiniment long. Elle se perdait dans les gémissements des Femmes et leurs cris de bonheur malsain. Elle était grave, enjôleuse, et m’invitait à le rejoindre. J’étais dégoûté. Il pleuvait sur ma tête une pluie blanchâtre et visqueuse. Maintenant, même Lucifer hurlait sa félicité. Les Femmes continuaient de le toucher et de lui lacérer le dos avec leurs interminables ongles noirs. La pluie cessa. Mais la vision de l’Enfer perdurait, immuable, jusqu’à me donner envie de mourir. En revanche il me fallait vivre, sinon je rejoindrais cet Homme rouge dans les Caveaux de la Terre, qui me pervertirais encore plus et qui me soumettrait à des Actes charnels dégoûtants. Je ne serais plus seulement un Monstre sans Âme ni pitié, je serais aussi une Créature dépravée. Et Dieu ne ferait plus que m’invectiver, il m’abhorrait.
Je me rappelle avoir hurlé ma Détresse. À partir de ce moment, l’Enfer disparut de ma tête. Les relents de feu, de Sang et de désir s’estompèrent brusquement. C’était comme un songe. Quand je me « réveillai », j’étais nu, enroulé dans mon drap imprégné de sueur, et recroquevillé contre le mur. L’oreiller, déchiré, s’éparpillait sur le sol en multiples lambeaux. Ma peau était lacérée. Un labyrinthe rouge et douloureux sillonnait mes bras, ma poitrine et mes jambes. Mes ongles étaient rouges de Sang. Et puis ma tête était lourde, d’une lourdeur pénible et fatigante. Je tremblais. Les Serpents qui me recouvraient quelques minutes (ou heures, je ne saurais le dire) plus tôt, ne grouillaient plus, mais me mordaient. Oh ! comme j’avais mal. Une Souffrance me dévorait de l’intérieur et de l’extérieur.
Depuis cette nuit, je rêve à l’Enfer chaque fois que je m’endors, et je me dis que là-bas même les démons auraient pitié de mes crimes. Oui, ils auraient pitié de la bête que je suis devenu.
Ils préféreraient me laisser vivre éternellement dans ma mort que m’épargner le soulagement de n’être plus rien.

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