Le reste, vous le lirez... quand ce sera le temps, ce qui reste d'être assez long compte tenu de ma lenteur exagérée à imprimer mon manuscrit et à "faire le grand saut" (j'espère qu'il ne s'agira pas d'un suicide...) Je profite de l'occasion pour vous demander de me donner un petit coup de pied au cul et d'agir une bonne fois pour toute. Sur ce...
Prologue
S’il devait y avoir des fantômes dans la
grande maison d’Abigail, ils y seraient certainement nombreux. Il y aurait d’abord
la fameuse aïeule de la propriétaire, Liliane, hideuse marâtre tuée par un mari
furieux. Les excuses minables de l’époux avaient survécu aux décennies, et on
se souvenait encore du moment où il avait clamé, tel un innocent devant l’échafaud,
qu’il « voulait juste violenter un peu cette pauvre folle ». Venait
ensuite Octave, grand idiot dégingandé, qui avait avalé un poison à rats par
inadvertance dans un recoin sombre des cuisines. Sans doute la petite Béatrice
n’était-elle guère mieux en terme d’intelligence, elle qui avait provoqué le
molosse des voisins jusqu’à se faire déchiqueter la gorge. Le sage et le doux
Isidore serait sans conteste le spectre le plus calme, souvenir translucide
d’un homme tuberculeux étendu sur son lit, toussant ses derniers souffles de
vie. Il ne fallait pas oublier les jumeaux mort-nés, horriblement malformés, et
leur mère, Clarisse, malheureuse femme dont l’époux avait convolé trois mois
plus tôt avec une voluptueuse étrangère. Grace rejoignait la triste Clarisse
esseulée, Grace qui était elle aussi morte en couches en mettant au monde un
adorable bambin du nom de Blanche. Le fantôme le plus jeune serait justement
cette Blanche, disparue à quatorze ans au pied de l’escalier de la tour
centrale.
Les esprits de quatre générations
vagabonderaient dans la même maison, chacun préférant ses couloirs et ses
pièces, chacun rêvassant aux lointains jours de vie. La terrifiante Liliane
protégerait sans doute jalousement son territoire, grognant et griffant ceux
qui tenteraient de s’y infiltrer. Octave s’agenouillerait devant le pot de
mort-aux-rats en se demandant pourquoi il était mort et pourquoi il ne pouvait
plus ni sentir ni goûter les plats si savoureux de sa grosse tante. Béatrice
errerait dehors, distraitement assise sur la clôture séparant la lande des
cours voisines, grimaçant aux chiens dans l’espoir de se venger de leur cruauté.
On entendrait les toussotements spectraux d’Isidore au bout des corridors,
silhouette cherchant une âme à consoler, une peine à écouter. Clarisse
pleurerait dans la chambre où elle était décédée, regardant avec désarroi et
affliction les minuscules corps atrophiés de ses enfants qui vagissaient. Les
gens se demanderaient où disparaissaient les draps blancs des penderies, et ce
serait Grace qui les emprunterait pour en tapisser le berceau de son bébé. Les
marches dans la tour craqueraient mélancoliquement au pas nostalgique de la
jeune Blanche, dont les fredonnements s’évaporeraient par les fenêtres
entrouvertes.
Mais les fantômes, n’est-ce pas, ne sont
que le fruit des esprits troublés, ainsi n’existent-ils pas. Dans ce cas,
pourquoi des pas s’impriment-ils dans la poussière là où personne n’a mis les
pieds depuis des années ? Pourquoi, à l’approche des anciens appartements de
l’acariâtre Liliane, entend-on des sortes de grincements de dents ? Pourquoi
les draps blancs dans les penderies se froissent-ils durant la nuit ? Pourquoi
les petits gâteaux se retrouvent-ils dans ce racoin enténébré de la cuisine, là
où flotte une odeur de poison ? Pourquoi des sanglots résonnent-ils entre les
murs alors que personne n’a mal ? Pourquoi y a-t-il toujours un malade quelque
part qui crache ses poumons ? Pourquoi les chiens rôdent-ils près de la lande,
les babines retroussées, attendant une victime à mordre ?
Pourquoi entrevoit-on l’éclat d’une robe
vaporeuse dans l’escalier de la tour centrale, si les fantômes n’existent pas ?
1 commentaire:
Je suis un million d'années en retard...
Mais j'aime beaucoup ce court prologue. J'aime où tu t'en vas avec ça.
Enregistrer un commentaire