Je suis là, debout, les pensées claires, précises, les sentiments et les émotions limpides. Je vis.
Le vent était effrayé. Il avait fui le monde depuis plusieurs siècles déjà, subitement, brutalement. Les humains s’étaient sentis aspirés, une sorte de vortex les avait attirés vers le néant. Tout était trop vide, trop silencieux, trop immobile. Le ciel aussi avait ravalé ses larmes, craignant le claquement du fouet, la morsure du couteau, le venin de la fiole. Les nuages s’étaient recroquevillés, le soleil ne se montrait que timidement, préférant rester couché sur l’horizon, là où il suffit de quelques secondes pour disparaître. Un glouton avait asséché les mers, engloutissant toute leur eau, toute leur vie, mordant avec cruauté dans les poissons, croquant les algues, avalant le sable fin. Dans le corps de ce glouton, sans doute, le poison avait dilué toute l’eau jusqu’à la dernière goutte, la polluant de tout ce qui est noir sur cette Terre. Ainsi, dans ce monde, tout appartenait aux ténèbres. Elles s’étaient approprié la vie, non pas en la détruisant, mais en la contaminant, en modifiant les poumons, les estomacs, les foies, les cœurs, les âmes, en altérant le sang, en souillant les chairs. De la pureté il n’en restait plus une trace, pas même la plus infime et la plus discrète. Les ténèbres possédaient des espions partout, dans chaque recoin, chaque anfractuosité, chaque vallon, chaque montagne, chaque prairie, chaque ville, chaque maison, chaque rivière, chaque flaque d’eau, chaque goutte de pluie… Elles avaient aussi établi leur empire dans les rêves, les cauchemars, les amours, les chagrins, les colères, les amertumes, les haines, les adulations… Elles pourrissaient chaque culte, croyance, foi, espoir. Elles écumaient même sur les ruines d’âme, le seuil de la pensée, les poussières du subconscient, le reliquat des cœurs, les gravats des baisers, les vestiges du souffle. Elles enfonçaient leurs serres partout, crachaient leurs serviteurs qui, docilement, tels des robots, des monstres, exécutaient les ordres de leurs maîtresses, s’appliquant à planter leur drapeau dans le sol, à raser la nature, à défricher la beauté, à faucher les sourires. Je voyais tout cela impuissamment, appréhendant l’heure ou la seconde où je serais aussi noyée dans le flot.
Les ténèbres versaient dans leur flacon, leur royaume, leur propre amour, un amour inhumain, distordu, crasseux, putride, toxique, stérile… Oui, elles le laissaient couler avec un plaisir ostentatoire et ineffablement malsain. Impossible de les comprendre, elles étaient les reines de la dissimulation. Leurs desseins restaient secrets, cachés, fermés sous clé dans un coffre-fort, enterré dans les abysses de l’univers. Chaque coffre s’ouvrait sur un autre, éternellement, sans que celui qui contînt véritablement le trésor – le trésor ? – ne s’ouvrît jamais. Leurs projets étaient des toiles d’araignée, indémêlables, inextricables. Leurs objectifs étaient encore plus obscurs, plus sombres, que celles qui les dirigeaient ; même la plus aiguë de toutes les presciences n’aurait pu percer son voile d’encre.
Je suis là, debout. Je vois, je respire. J’ai peur. Je vis.
Mais ces ténèbres, personne ne les apercevaient jamais. Elles étaient encore plus subtiles et encore plus prudentes que la vie qui subsistait, s’évertuant à n’agir que sous une chape fourbe qui les confondait avec le morne paysage. Elles ne faisaient aucun son, n’exhalaient aucune odeur ; elles étaient le Vide. Le Rien. Et pourtant elles étaient là, puissantes, insaisissables, opérant dans l’invisibilité ; et pourtant l’issue de leurs interventions étaient toujours le même, grandiloquente et dévastatrice, tangible, encore plus aveuglante que le soleil fuyant. Une issue inéluctable. Comment éviter une chose totalement hors de notre contrôle, imperceptible de surcroît… invincible ? Comment se détourner de la fatalité, ou détourner la fatalité de nous ?
Je suis là, étendue sur un tapis d’herbe. L’herbe est desséchée, morte, mais moi je suis toujours vivante. Je résiste. Me rebelle. Ou plutôt j’attends la foudre.
Dans ce monde éphémère, où chaque jour était une procession mortuaire, où chaque année était un cortège funèbre, où chaque manifestation de vie était un suicide, comment se soustraire au destin ? Les âmes étaient des proies et les cœurs des festins, la noirceur se travestissait en blancheur pour agrandir ses rangs et épanouir les roses de sa corruption.
Elles étaient malignes, les ténèbres, et rusées, et perfides, et maléfiques, elles étaient le Mal, nocives et habiles. Non pas assassines, mais voleuses. Des brigandes talentueuses et raffinées, la crème du pillage, la fleur du maraudage. Des gloutonnes.
Le plus effrayant était leur indéchiffrable anonymat. Elles étaient inconnues. Totalement inconnues. On les appelait les ténèbres car il fallait bien les nommer, ces reines ombreuses. L’univers était leur hôte, il les hébergeait même contre son gré. Oui, il fallait absolument nommer ces choses qui dérobaient tout. Elles qui répandaient la presque-mort, il fallait à tout prix leur donner un nom.
Mais qui étaient-elles vraiment ?
Savez-vous qui sont-elles, ces ténèbres ?
Savez-vous… que veulent-elles ?
Je suis la seule survivante.
Une fragile prescience me souffle que je serai moi aussi bientôt pervertie. C’est de bon augure… le mystère me sera enfin révélé.
Les jours passent et le noir m’épargne.
Peut-être que les ténèbres ne me voient pas, peut-être qu’elles m’ont oubliée…
Mais… un instant !
Si je ne suis pas engloutie, c’est peut-être que, les ténèbres… c’est moi !
p.s : Si vous avez une suggestion de titre, n'hésitez pas à m'en faire part :)
2 commentaires:
Peut-être jamais elles ne te veront, et non pas la foudre mais par son coup, tu referas le monde autrement Julie la Folle, tu l'édifieras bellement dans la force et la douceur de ta folie... sache que tu ne seras pas seule si jamais elles te veulent prendre... il ya longtemps que j'y erre :-) (titre possible: l'absente)
verront
Enregistrer un commentaire